David Lütolf - solutions

Ukraine: Entrée en Ukraine: Uzghorod et chez les Khylya

(2006-08-23) L'Ukraine, si vous croyez que la Hongrie ou la Slovaquie sont des pays lointains et où on se sent observé, c'est bien pire. Je dirai que ça ressemble à l'Afrique en Europe de l'est, avec une langue incompréhensible et où presque personne ne parle anglais, allemand ou français, où chaque station service proche de la frontière est munie de ses gamins qui agressent littéralement et systématiquement toute personne non ukrainienne pour quelques kopeks, dollars, euros ou quoique ce soit à manger. Des chiens faméliques errent dans la ville-frontière, les gens me dévisagent. Normal, ici comme en Slovaquie, une moto est aussi chère qu'une voiture et avec ma Honda carrénée et mon armure je ne passe pas inaperçu. Evidemment, il y a une autre problème. Il y a toujours des problèmes quand on se retrouve de l'autre côté d'une frontière aussi hermétique que celle-ci, qu'on vient de traverser du même coup un fuseau horraire, que la langue n'est qu'une suite de sons abstraits et que personne ne connaît les francs suisses (on me propose tout de même 100 UAH pour 200.-, soit 8 fois moins que la valeur actuelle - les UAH sont à peu près l'équivalent des anciens francs français). Donc pas d'argent, la "seule" banque de la ville est fermée depuis longtemps, et j'ai encore de l'essence pour une vingtaine de km. Je me résigne à passer la nuit à 1m du poste frontière, endroit qui me semble le plus sûr du coin. Au moment où je déballe le premier sac pour y trouver un livre, le militaire en faction à côté revient vers moi et me dit "mais pourquoi tu essaye pas le bancomat? il y en a quelques-uns en ville". Was?? Vite fait bien fait, je le remercie en russe et je trouve ce que je cherche. En plus ça fonctionne. Ouf! Je dois partir de cette ville. Je fais le plein à la pompe, on y trouve même de l'essence à 80 octanes (!). Peu avant j'ai pu voir un Kama3, camion soviétique de légende qui peuplait les livres de mon enfance, ça m'avait un peu réjouit mais beaucoup...Je roule à nouveau, il fait presque nuit maintenant, il fait très humide, froid, et je ne sais pas quoi faire, peur de m'arrêter et me faire attaquer par des brigands déguisés en militaires comme on en trouve plein par ici.

En roulant, j'aperçois une silhouette dans une robe noire. Un curé! (ou ce qui peut s'y apparenter par ici) Il ne peut pas être si méchant (ou alors ce serait vraiment pas de bol). Je fais demi-tour, lui demande s'il parle français ou anglais, il me dit que non mais on envoie chercher quelqu'un dans la maison. Un franco-suisse, étudiant en électronique lui aussi, qui à pris comme pretexte de faire un reportage sur la révolution orange d'il y a deux ans pour voyager dans la région. La fille de la famille, Andréa (ou Ivanna), parle aussi anglais et demande à sa mère si je peux passer la nuit. Elle accepte! je dormirai avec Simon II, le français en question. Je ne suis pas déçu par l'hospitalité transcarpatienne, région aussi appelée "Suisse de l'UKraine"à cause de ses montagnes et beaux paysages. Ils sont en gros travaux, juste un robinet d'eau froide, toilettes dehors façon années 20, on arrange une excursion chez les cousins qui ont une douche avec de l'eau chaude. Andréa et Simon en profitent pour se doucher aussi, et moi pour parler un peu avec le cousin d'Andréa (qui me propose immédiatement d'acheter ma moto) et son père, entreprenneur au bord de la banqueroute et très intéressé par une coopération avec l'ouest. Normal quand on sait que ça évite la plupart des embrouilles habituelles de la région. Les Khylya habitent dans une maison au bord de la route principale, possèdent quelques canards, deux cochons, un étang avec des poissons, cultivent ce dont ils ont besoin pour survivre. Pour le reste, Iven vend ses poissons et fabrique des pavés dans un entrepôt à moitié consummé par les flammes sur un terrain d'un hectare (grand luxe) acheté une quinzaine d'années auparavant, roule en Mercedes (autre luxe, même si elle n'a rien d'un carrosse). Ici, il n'y a pas de temps. On vit comme il y a cent ans, avec un peu de la technologie actuelle, le chauffe-eau à bois de l'ère soviétique fonctionne à merveille et côtoie sans problème le lecteur DVD au-dessus de la TV. On se lève quand on veut, on bosse un peu puis on s'arrête pour manger 3,4, 5 ou 6 fois dans la journée (j'admets avoir perdu le compte parfois), on se couche très tard. Personne n'a de montre et chacun s'en fout de savoir l'heure qu'il est. A chaque repas, tomates du jardin (les meilleures jamais mangées), concombres et poivrons en salade, pain. Selon l'humeur on y ajoute du beurre et de la confiture, de la saucisse, du fromage, du borsch (soupe locale délicieuse qu'on mange avec de la crème aigre), patates, poisson, poulet, riz.. pas très destabilisant donc, sauf pour le couteau qui n'est présent que pour le p'tit déj. Pour tenter de rembourser mon séjour en participant à la rénovation de la salle à manger, je passe pour un expert platrier-peintre en bidouillant un truc pour masquer les tubes du radiateur.

Dehors, on voit passer des voitures et des camions dont on se demande comment ils peuvent rouler et dont le bruit tient plus de la péniche, d'autres tout-à-fait normales, des charettes tirées par un cheval, des vieillards à vélo. On cache la moto au fond de la cour pour que personne ne puisse la voir, on craint pour ma sécurité et pour chaque sortie nous devons dire pour combien de temps on en a, de peur de faire une rencontre malheureuse. Situation réellement dangereuse ou simple paranoïa? La réalité doit forcémment se situer entre deux.. mais où? Il paraît que je pourrais facilement passer pour un aristocrate russe (faudrait déjà parler le russe pour ça), mais pour Simon, avec ses cheveux bouclés et ses shorts, rien n'y fait. De toute manière, tout le village sait maintenant qu'il y a deux étrangers ici. Un jeune homme dans la maison d'une jeune fille c'est assez mal vu, alors avec deux vous imaginez les ragots :-) Au final je resterai jusqu'à Dimanche après-midi. Le soir précédent, après un bon repas avec toute la famille cette fois (en général les parents mangaient à part), Iven nous propose, à Simon et moi, d'aller faire un billard au bar du coin. Youpie!! Déjà un peu lancés, on saute dans la mercedes. 200m plus loin, le bar. On entre, et tout de suite on voit qu'Iven n'est pas n'importe qui. On nous libère spontanément une table, à laquelle on continue avec un schnaps et un jus de pomme. On a vu ce côté du bar, direction le billard. Tranquille le billard. Y'a que des boules blanches et une spéciale? ah.. on peut tirer avec n'importe quelle boule? hem.. les "entonnoirs" vers les trous sont les plus petits jamais vus? bon.. on va improviser alors. Sans avoir vraiment compris les règles du jeu dans cette partie du monde, on y va, chacun son tour et avec pour mission de mettre un max de boules dans les trous. Au bout de deux parties et beaucoup de schnaps, L'Ukraine et la Suisse battent la France ex-eaquo. Les locaux nous ont dévisagé un bon moment, mais après avoir compris qu'on était pas plus intéressant qu'un des leurs, ils se sont vite lassés. Nous on quitte le bar, beurrés comme des huitres. On roule un peu, s'arrête au bord de la route pour pisser, continue... tiens, une frontière. Appel de phares et coup de klaxon au militaire, demi-tour sauvage sur la route. Au passage, on s'arrête dans un "Alkomarket" pour acheter une bouteille de schnaps supplémentaire. Mais pourquoi? bah... on rentre à la maison, où nous attend une Andréa inquiète. Faut pas.. ça fait même pas 2 heures et demie qu'on est partis. Simon s'en va, il avait très vite abdiqué face à la boisson. Je reste avec Iven, on part se faire une petite bouffe à la cuisine et entammer le schnaps. On en peut plus.. On va se coucher, il ne marche plus droit et se fait engueuler par sa femme d'avoir "mis deux jeunes hommes dans un état pareil". Hihi.. Le lendemain je me réveille, tiens Simon n'est pas là, il doit être déjà debout. Tiens, la porte est fermée à clef (le seul moyen pour qu'elle ne s'ouvre pas toute seule) depuis l'intérieur. Mais comment a-t-il fait? Tiens, il y a encore la carte et des livres sur son lit.. il n'a donc pas dormi ici? Il apparaît qu'il était parti discuter avec Andréa, et rentré après moi à la chambre n'avait pu entrer ni me réveiller, malgré ses efforts. Oops :-] Le temps de manger encore 2 repas (décidemment, j'aurais passé ma semaine à table ici), on fait la photo souvenir, on se fait nos adieux et la promesse de se revoir, et je reprends la route en direction de Lviv.
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La seule photo que j'ai de chez les Khylya. C'était une petite ferme familiale, où on voit Ivanna plier du linge pendant que Simon coupe les poivrons pour les conserves. Les photos de ces moments typiques étaient pas évidents du tout à prendre, d'autant qu'Ivanna détestait les photos.
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Le village des Khylya, vu depuis la coline du monastère. On voit une parmi la quizaine de chapelles construites de long d'un chemin de croix menant au haut de la coline. La frontière slovaque est aux environs de la crête des colines.
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Parmi des maisons de bric et de broc, quelques unes par-ci par-là valant beaucoup, avec stores et portail électriques, et probablement tous les raffinements de la vie moderne. Celle-là était droit en face de la maison des Khylya. Le village était situé très proche de la frontière avec la Slovaquie, ce qui expliquait sûrement cela.
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On appelle cette région "la suisse de l'ukraine". Vers les maisons en bas de la première crête, la route juste après que je me sois fait contrôler en partant pour L'viv. Le "milizia" voulait me faire retourner à la frontière pour avoir mal complété le visa d'entrée. Il voulait que j'y mette une destination, mais quand il a compris que je ne savais pas où j'allais il a laissé tomber.
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