David Lütolf - solutions

Ukraine: Granitne

(2006-08-29) Le long de la route, je croise une femme sous un impér qui marche dans la même direction moi. J'ai dans l'idée de lui proposer un lift (les distances à parcourir sont facilement de plusieurs kilomètres) et lui demander ensuite si elle sait où je peux passer la nuit. Elle ne semble pas vouloir de mon aide, mais reviens sur ses pas pour m'ammener chez elle, dans son village que je viens de dépasser sans le voir et où son mari Sulza m'accueille bras ouvert. Elle me laisse là et va chercher Irina, seule anglophone de la région et prof d'anglais dans le village voisin qui habite par hasard la maison d'à côté. Je vais passer la nuit qui vient et les quelques suivantes ici, en attendant que la pluie cesse. Je ferai ainsi la connaissance de quatre Sacha, et de tout le village y compris Lala la poupée cul de jatte. Son fils, son beau-fils, sa petite fille et un des voisins. Comme vous pouvez le constater, Sacha est un diminitif très commun un Ukraine. Une fois de plus, l'hospitalité que je reçois dépasse toutes mes attentes, bien que les conditions de vie ici soient encore plus dures que dans les Transcarpates. Sur la carte j'avais vu que tout le nord de l'Ukraine est marécageuse et c'est une des raisons qui m'a fait faire un détour par ici. Rien n'est perdu, je me retrouve en effet face à un paysage auquel je n'étais pas habitué. Ici, et surtout en ces jours de pluie, il y a de l'eau partout. Les nombreux étangs et marais qui marquent la région ne laissentque peu de place aux habitations. Pas toutes les maisons ont l'eau courante, pas d'écoulements non plus. Tout juste de l'électricité pas stable du tout, les lumières vacillent fréquemment et comme plus au sud, on peut savoir quand l'eau a fini de bouillir car la lumière brille plus fort. On va chercher l'eau au puits, un pour l'eau de ménage et un autre plus profond pour l'eau potable. Les toilettes sont au bord d'un marais jonché de bouteilles et emballages vides. Ici on pose sa pèche à la turque, une pèle et un vieux balais de riz servent de brosse à chiotte pour les fois où on n'arrive pas à viser juste et étonnamment il n'y a presque peu d'odeur. Dans le village, les poules, oies et canards se balladent en liberté. Parfois on leur peint les ailes pour les reconnaître, mais en règle générale ce sont les volailles qui savent quel poulailler est le leur. Je fais sensation, personne n'a jamais vu un étranger ici et encore moins un fou à moto. Tout le village est au courant que je suis là ; un voisin met son garage à dispoition pour mettre la moto sous clefs et à l'abri. Les gens se rassemblent devant la maison pour me voir sortir et se marrer quand je prononce quelques mots.

On m'apprend qu'il y a une carrière dans laquelle on extrait du granit, qui tourne 24h/24 et embauche environ 300 employés. Dans la région, la
paye varie entre 700-800, voire 1000 remnias (250 francs suisses dans le meilleur des cas!). A ma demande, j'obtiendrai une visite guidée en compagnie d'Irina mon interprète, Sacha le guide et Marianna sa charmante femme, chez qui je passe mes journées. Là non plus, je ne suis pas déçu. On m'emmène d'abord dans un bâtiment qui sert de première étape au concassage de large blocs de pierre amenés à l'aide de [i]Bela3[/i], camions-bennes soviétiques surdimensionnés. Je suis tout de suite ébahi par l'état de la construction et de ses installations, dont dire qu'ils manquent d'entretien serait un mensonge. C'est une ruine, comme tout le site. Aucune fenêtre ne subsite intacte, les murs tombent en miette. Les tôles des installations ont des trous de rouille partout, les barrières de sécurité ne sont probablement plus très efficaces et ont au moins le mérite de ne pas inspirer une fausse confiance. L'usine, comme l'appelle ici, est une vraie ruine qui aurait été condamnée et interdite d'accès depuis très longtemps par chez nous. On m'emmène ensuite au bord de la carrière, d'où on extrait le granit après des forages verticaux et un dynamitage annoncé par des sirènes. Les chauffeurs de camion les redoutent, car ils envoient voler en l'air des pièrres sur un rayon de plus d'un kilomètre. A voir la taille des camions qui sont au fond, le trou et gigantesque et je suis incapable d'en donner des dimensions un tant soit peu précises. Peut-être 150 ou 400 mètres de fond, un diamètre bien au-delà du kilomètre. On me dit de faire très attention car il y a quatre ans un enfant est tombé dans le trou est en est mort. Je vois ensuite le reste de l'usine, soit la dernière partie du concassage, les anciens bureaux, une fois très prestigieux et bordés d'une fontaine qui avait jadis un jet d'eau. Depuis la chute de l'URSS, tout tombe en ruine. Je suis quand même surpris de voir un parc dans lequel les employés peuvent se reposer, des fleurs qui bordent le chemin d'accès à l'usine près des nouveaux bureaux. Il y a trois jours (nous sommes le 30 août), l'intégralité de la somme servant pour la paye des employés a disparu. J'arrive au bon moment.. Je laisse Irina et Marianna pour aller avec Sacha dans un village voisin, distant de 10km et non loin duquel se trouvent deux autres carrières un peu plus grandes que celle-ci. Sacha en profite pour présenter le Suisse-étudiant-journaliste-qui-a-fait-3000-kils et sa moto à quelques uns de ses amis avant de me mener au plu grand des trous de la région. Les polonais ne savaient pas être si proches de la vérité en me disant que ma moto était idéale pour les routes du pays, car nous devons emprunter des chemins de terre où traverser chaque flaque s'apparente à un passage à gué de rivière. J'ai encore de la peine à croire que nous ne nous soyons pas vautrés une fois ou l'autre. La nuit tombe à nouveu et la pluie s'intensifie, il est temps de rentrer. Au retour, j'aperçois une haute tour en acier qui sert à surveiller la forêt contre les incendies. Elle n'est déjà pas très droite, alors quand je dépasse la cime des arbres, qu'un vent assez violent se fait sentir et que la construction oscille méchamment, je ne suis pas très rassuré. Bah.. elle n'est pas encore tombée, peu de chances qu'elle tombe maintenant et je n'ai pas fait tout ce chemin pour me dégonfler. Près de 120 échelons et 40 mètres plus haut, j'arrive en haut de la tour en acier dont la section ne dépasse pas 1m50. Il pleut toujours et la vue n'est pas ce qu'elle pourrait être, mais la plaine s'étend à perte de vue. Quand on se trouve dans les alpes, on se sent petit. Là c'est pareil mais dans le sens horizontal.

Le soir, après avoir soupé on regarde [i]Troie[/i] doublé en Russe. Dans les pays de l'est, les doublages sont très souvent faits par-dessus la bande originale, sans enlever les voix des acteurs, sans émotion et par une seule personne. Si on a de la chance il y a une voix féminine pour les femmes. On croirait entendre une bande de potes même pas bourrés qui font les voix en lisant les sous-titres.. Je décide ensuite qu'il est temps pour moi d'écrire ce qui s'est passé à Lviv et sur le chemin jusqu'ici (j'ai souvent quelques jours de retard dans la rédaction, ça permet d'avoir un peu de recul et vu la disponibilité d'internet je ne suis pas à un jour près). Alors que je sors mon ordi du sac sous le regard attentif de toute la famille, je prends conscience de ce qui aurait pu être une catastrophe : sur la route après Lviv, je m'étais aperçu que la sangle qui retenait le sac à dos contenant l'ordi, mon livre de dessin, la trousse de toilette et la caméra n'était pas comme elle aurait du. Après une rapide inspection, il est apparu que la sangle s'était prise quelque part, tendue à mort et avait rompu en écrasant la boîte de la caméra. Mais ce n'était pas tout. Le capuchon de ma bouteille de schampoing avait également sauté, laissant s'échapper le contenu au fond du sac, n'épargnant bien sur pas mon ordi, extension de mon cerveau par excellence. Quelle catastrophe pour un geek comme moi! Allais-je me retrouver amputé d'une partie de moi-même, orphelin de mon moyen de rédaction et de partage? Démonter un portable sur une place de travail antistatique avec les petites boites à vis et les outils idéaux est une chose, faire de même sur une table de cuisine et nettoyer un écran, une carte mère et un lecteur CD avec une brosse à dents dans une bassine d'eau en est une autre. D'autant plus que le seul moyen trouvé pour faire sécher les composants est un four électrique 2kW fait maison, sans thermostat bien sûr. Le lendemain, après avoir remonté la bête sans avoir de vis en trop j'ai cru avoir perdu la carte son et le lecteur CD mais après un redémarrage, il s'avère que tout fonctionne presque bien. Si ce n'était pas déjà fait, j'ai maintenant prouvé mon plein statut de geek niveau III.

Le vendredi soir, Sacha me propose de l'aider à fendre des bûches et c'est volontiers que j'accepte. Je rêvais de me rendre un peu utile mais je déchante vite, il a l'air de trouver que je ne suis pas assez efficace.. me voilà donc avec une bière à la main à le regarder faire. Vient le moment où il fatigue et me propose de reprendre le relais, je peux alors lui montrer (ainsi qu'à sa femme et son beau-père qui sont arrivés entre temps) que j'ai un bon coup de hache. En près d'une heure le tas de bois est poutzé, et comme le veut la tradition ukrainienne on doit boire un ou deux verres de cognac cul-sec. En fait, un pretexte comme un autre pour rester entre hommes à discuter de choses et d'autres, parler des prix en Ukraine et en Suisse, se faire piquer par les moustiques qui abondent dans la région. Je propose à Sacha de payer la bouteille (2.30 pour un excellent demi-litre) qu'on ira chercher ensemble à la [i]Coop[/i], le magasin du village, petit local d'une trentaine de m² à l'entrée du bled où l'on trouve le minimum vital et probablement rien d'autre, qui semble donc très vide et où la caisse enregistreuse est un... boulier. En rentrant se coucher, on croise l'autre Sacha (le frère à Marianna) qui me propose de me donner quelques adresses de potes à lui à Kharkov, ville à l'est de Kiev où j'ai l'intention de séjourner. Une fois au lit, je l'entends se faire remonter par son père et sans comprendre vraiment de quoi il s'agit, je suppose que les contacts en question ne seraient pas très sains pour moi et que Sulza n'est pas d'accord à ce que Sacha m'y envoie. Supposition ou réalité, je n'aurais pas les adresses comme promis. Le plein d'eau potable fait au puit et les adieux effectués, je peux m'en aller.
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Malheureusement on ne voit pas la machinerie vétuste, délabrée et grinçante qui concassait des mètres cube de granit pour en faire du gravier. L'ambiance qui reignait dans cette usine communiste rachetée par un groupe allemand et qui faisait vivre tout un village était fantastique et indescriptible en peu de mots.
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L'entrée de l'"usine". Sasha, Marianna et Irina mon interprète. On est en fait sorti par la grille gardée par un vigil (entre autres la mère de Marianna), mais passer par derrière n'avait posé aucun problème. L'allée est bordée de fleurs, et dans le bosquet derrière la grille des bancs permettent aux employés de se reposer..
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On ne voit strictement rien sur cette photo, que j'ai prise lors de la ballade avec Sasha. On devrait y voir une carrière énorme. Le temps était très bizzare, et toutes les photos suivantes que j'ai prises (dont sur la tour de guet 40m au-dessus du sol) sont totalement surexposées.
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