David Lütolf - solutions

Ukraine: Харкiв

Un p'tit tour en train vers l'est. Comme je n'avais pas bougé de Kyiv depuis un moment et que mon départ était imminent, je devais au moins m'aventurer un peu plus a l'est. Jeudi matin très tôt (enfin.. mercredi soir à minuit trente) j'ai pris le train pour me rendre à Kharkiv, deuxième plus grande ville du pays et centre très important de l'industrie lourde, textile, manufacture d'avions et bien d'autres.

Le train était presque plein, tout le monde dormait donc j'ai fait pareil. Le matin, réveil à 9h par une de ces musiques entre la chanson tradtionelle et la musique d'ascenseur dont les russes ont le secret et froid "intense". Pas si froid que ça, mais on sort du plumard c'est pas agréable, et chacun avait vite fait de remettre sa veste ou son manteau. Vers 10h le train entre en gare, je sors sur le quai puis sur la place, pouf me voici à Kharkiv. Mais pour faire quoi? Je n'ai pas de plan de la ville, je ne sais pas où est quoi et d'ailleurs je n'ai pas beaucoup de temps à disposition. Premier but (car il faut toujours avoir un but, même si Bretheau n'est pas dans les parages): trouver un bureau de change au taux pas trop défavorable. Pas trop pressé, je pars intentionellement dans la "mauvaise" direction, mais rien à voir de ce côté-ci. De nombreux camions sur les routes, quelques bâtiments de plus en plus épars. En continuant plus loin peut-être arriverais-je vers les nombreuses usines qui bordent la ville, mais à pied c'est un peu loin et je ne m'attends pas à y trouver grand chose aujourd'hui.

C'est ensuite dans le marché central que je me retrouve, à mi-chemin entre le centre-ville et la gare, et témoin de la taille de la ville. C'est énorme ; et à l'instar des bazars d'Istambul, quelques vendeurs vous hèlent et vous suivent sur quelques mètres pour vous proposer leurs produits qui peuvent être des chapeaux, des vieilles seringues en verre, des ventilateurs industriels, des habits, des restes de téléviseurs, de la viande, des téléphones, des articles pour bébés ou des légumes bien sûr mais rien pour les touristes, quasi inexistants dans la région. Une fois mes dollars changés en grivnas, je peux retourner à la gare pour acheter un ticket ; en effet, Denis n'avait pas jugé utile de tout acheter d'un coup et si j'avais le billet pour le retour depuis Jmerinka près de Sherghorod (où je devais le rejoindre samedi matin) la partie intérmédiaire de mon petit tour était encore indéfinie. Après 3/4 d'heure de queue, durant lesquelles j'apprends qu'il n'y a pas de train pour Donetsk avant lundi, on me dit que je dois me rendre à la caisse pour les étrangers un peu plus loin, où je n'aurai heureusement pas besoin d'attendre. Comme Donetsk n'est pas envisageable, j'ai le choix entre Lugansk et Dnipropetrovsk et je voudrais faire mon choix en fonction des horraires.. pas facile à faire comprendre à la caissière qui ne parle que russe. Finalement, je fais mon choix pour la dernière des deux villes. Le train part à 3h30, et de là-bas à Jmerinka il n'y a qu'un seul train qui part en début d'après-midi et arrive à 2h du mat. Mon ticket en poche, je prends la direction du centre pour visiter un peu, après avoir mis mon sac en consigne et bien évidemment oublié la caméra dans le coffre.

Kharkiv est une ville très intéressante, à mi-chemin entre une cité ouvrière dotée de banlieues très vivantes et une ville plus occidentale un peu comme L'viv, dont le centre aux larges rues pavées et parcs acceuillants. Une rivière traverse la ville, aux bancs souvent sauvages mais parfois bordée d'un haut mur depuis lequel les pêcheurs pèchent et les amoureux regardent l'eau. Plus loin, une église dans laquelle je me trouve au moment d'une célébration où le prêtre asperge (abondamment) ses fidèles à l'aide d'un grand plumeau, décorée de partout de nombreuses icônes, à la voûte très basse (l'étage au-dessus est inaccessible ajourd'hui). L'encens qui flotte dans l'air et les chants religieux donnent à l'atmosphère qui règne ici un air très calme.

Je poursuis mes déambulations, posant quelques questions aux gens que je croise. Ici on parle principalement russe, tout le monde comprend l'ukrainien et certains le parlent même couramment. Personne ne semble avoir de problèmes avec le fait que le pays est bilingue, au contraire de Kyiv ou certains sont résolument russophobes et le crient haut et fort ou l'écrivent où ils peuvent. Fait rare, je rencontre une étudiante, jolie blonde d'une vingtaine d'années, qui trouve que si les ukrainiens ne sont pas mieux intégrés aux marchés de l'ouest c'est uniquement de leur faute et par leur manque d'entrepreurisme. Moins surprenant quand on sait que son père a des contacts rapprochés avec l'American Chamber of Commerce en Ukraine (sauf erreur), qu'elle a eu l'occasion de voyager aux states et d'y apprendre l'anglais et sûrement des tas d'autres choses fort utiles.

17h15, je suis de retour au marché. Alors qu'un quart d'heure auparavant celui-ci devait grouiller de monde, il n'y reste plus rien que des papiers traînant sur le sol et quelques retardataires qui finissent de ranger leur stand. Debout au milieu de la rue, je regarde ce qui reste d'activité auprès de moi. Un magasin de disque et location de films diffuse assez fort un rap russe qui donne à moment une dimension surréaliste ; je n'arriverai pas à acheter le disque ni savoir de quel groupe il s'agit.

Le jour tombé il commence à faire très froid, et j'avais vu une cathédrale rayée rouge et blanc non loin de là, derrère la station de bus. Alors que je m'en approche, j'aperçois de près l'édifice imposant qui se détache nettement des autres immeubles à cause de sa couleur. A l'intérieur il fait heureusement bien plus chaud, une célébration en comité réduit a lieu dans un coin. Ici aussi, l'ambiance est très reposante, mais une fille assise près de moi s'écroule soudain par terre, agitée de tremblements. Immédiatement, mon voisin lui jette un peu d'eau dessus, on s'occupe d'elle et après quelques longues minutes Natalia (c'était son nom) reprend sa place sur le banc. Moment étrange je l'admets volontiers, durant lequel je n'ai su que faire d'autre que prier pour cette fille.

Une fois dehors, il n'est même pas 6h du soir et il fait encore plus froid. Encore un peu perplexe de ce que je viens de vivre, je rentre dans le premier bar pour ne pas attendre mon train dans le froid de la gare. 9h ça ferait un peu beaucoup. Premier verre, j'observe les lieux depuis ma table et apprends que la serveuse parle un peu anglais. Deuxième verre au bar, je discute avec elle et un client accoudé de ce que je fais ici, on partage les Marlboro françaises que j'ai avec moi. Troisième verre, l'ex-serveuse du bar, qui devait se demander pourquoi sa remplaçante passait tant de temps à tchatcher avec un client, se rammène avec une de ses copines, se présente et s'incruste dans la discussion, à mon plus grand plaisir je dois dire car Eva (c'était son nom) était une fille fort sympathique et charmante, ma foi. Alors qu'au début on a fréquement fait recours aux services de la serveuse pour la traduction d'une phrase ou l'autre, au fur et à mesure que la soirée continuait et que les deux verres suivants passaient de vide à plein nous n'avions plus besoin de rien pour nous comprendre. C'est alors que les choses ce sont gâtées, car un de ses potes est arrivé et de fil en aiguilles m'a proposé de goûter à de l'herbe ukrainienne. Dehors, c'est pure et dans le bout en verre d'une pipette médicale que nous l'avons consommé, et avec les quelques bières et les deux mois d'abstinence précédant cette prise, celle-ci fut de trop et mon état passa rapidement de "très joyeux et amplement communicatif" à un moins souhaité "ouhlà c'est dur de saisir ce qui se passe autour de moi et de pas avoir envie de dormir sur le bar". On saura pour la prochaine fois..

Quelques butter-brot offerts plus tard, mes nouveaux amis d'un soir allaient se coucher, me laissant un peu à côté de la plaque et résolu à ne pas manquer mon train. Je partis donc bien en avance, heureusement d'ailleurs car après le marché, perdu dans mes pensées, je me suis rendu compte que j'étais dans une rue absolument superbe, digne d'Alice au pays des merveilles soviétiques, très étrange dans la lumière des quelques lampadaires qui se trouvaient non loin. Aucun mot ne saura décrire ce que j'ai ressenti à ce moment-là (sans parler du fait que c'est aussi à ce moment que je me rendais compte que je ne savais du tout où j'étais). Un calme absolu (un calme serein, pas un calme-avant-la-tempête) reignait dans cette ruelle pavée, bordée d'abres et d'anciens bâtiments. Des bâtiments en ruine bien sûr, mais pas de ceux qui ont des fers à béton qui dépassent tels des griffes ; de vieilles maisons hautes de deux étages, serrées l'une contre l'autre, aux embrasures de portes et de fenêtres en relief, de ces maisons sans âge que l'on voudrait toujours pénétrer pour voir ce qui se cache derrière leurs murs. J'ai bien pris une ou deux photos, mais je doute qu'elles ne rendent qu'un centième de ce que j'ai bien pu voir ce soir-là.

Après avoir retrouvé la route menant à la gare, je montais dans le train avec la perspective de pouvoir m'écrouler sur la banquette pour profiter des cinq heures que j'avais à disposition pour dormir. Erreur, car dans ce train venant de Moscou se trouvait Olga, une dame d'une quarantaine d'années, charmante si ce n'est qu'elle a choisi ce moment précis pour entrer en discussion avec moi et m'offrir plein de cadeaux (dans le désordre: une fleur jaune, 2 grivnas, une sucette, un bonbon, une de ces lampes à fibre optique, un peu de bière et un faux billet de 100$ et bon de réduction pourun magasin de jouets). Ne comprenant qu'une partie de ce qu'elle me disait, je suis resté très perplexe devant toute cette générosité, d'autant plus qu'il ma semblé qu'elle mentionnait des noms et des faits qu'elle ne pouvait connaître que de façon surnaturelle. Trop fatigué, je devais malheureusement la remercier de sa gentillesse et la prier de me laisser un peu dormir.

Le matin même, aux environs de 8h, je me fais réveiller par l'hôtesse alors le train approche Dnipropetrovsk. Après en être descendu, je monte sur la passerelle qui traverse les voies, encore à moitié endormi et sans doute un peu alcolisé. De nouveau, je décidai de prendre la direction opposée à celle dictée par le bon sens et ce fut je crois la bonne décision car après environ 200 mètres sur une passerelle presque magique, surplombant une zone à l'usage indéfini située derrière la gare, je me suis retrouvé projeté dans l'ère communiste, dans une rue tout simplement extraordinaire, qui devait n'avoir pas changé d'un iota dans les 40 dernières années et que très peu de personnes devaient connaître.

Il était temps de sortir de mon rêve et d'assurer mon retour. Pas de bus pour Jmerinka, je devrais donc prendre le train. Pas plus mal, j'arriverai à Jmerinka quelques deux heures avant Denis, on pourra donc prendre ensemble le marshrut nous rendre chez lui. En attendant, je me ballade un peu les environs de la gare et le bazar pour acheter quelques souvenirs et passer le temps. Rien de spécial dans le train non plus, si ce n'est que j'ai eu droit à un compartiment à moi tout seul pour une bonne partie du trajet et que le violon (je l'avais pris avec moi) était alors un passe-temps idéal.

Avant mon arrivée à Kiev, lorsque les gens me demandaient où je comptais me rendre je pointais en dehors de la carte, en disant "" et sans savoir que c'était précisement sur Kharkiv que je mettais mon doigt ; sans savoir non plus que ce serai "" que je passerai la soirée la plus agréable et la plus étrange à la fois de tout mon périple. Et même si c'est loin "", j'ai bien envie d'y retourner..
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"Centralni Vokzaal Harkiv", gare centrale de Kharkov. Le globe suspendu est à peu près le symbole de la ville ; derrière ce dernier un écran plat diffuse des clips et des pubs.
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Une ruelle de Kharkov, pas trop loin du bazar central. A lui seul le bazar témoignait de l'importance de la ville. C'est peut-être dans cette rue que je me suis égaré plus tard dans la soirée, mais les photos n'on rien donné. Dommage, car c'est à partir de ce moment que je suis tombé dans le pays des merveilles, juste après avoir quitté Alice (qui en Ukraine s'appelle Eva..)
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Le canal qui traverse Kharkov, pas du tout canalisé quelques mètres avant
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La cathédrale rouge et blanche de Kharkov. Ils ont d'autres églises sublimes dans la ville, mais celle-ci ne ressemble à aucune autre que j'ai pu voir dans mes déambulations. Dedans se tenait un petit service (on était jeudi soir) et une adolescente vraissemblablement possédée s'est écroulée devant mes pieds.
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Sorti du bar que j'ai squatté de 18h à 2h du mat en discutant avec la serveuse, la ravissante Eva et son pote, je me suis égaré après la place du marché. Tombé un un instant dans le pays des merveille, j'y suis resté jusqu'au lendemain à Dnipropetrovsk.
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Il fallait quand même faire cette photo. "Au samovar", bar de la gare et samovar dans un samovar. Très joli mais photo très ratée.
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Gare de Dnipropetrovsk au lever du jour. Ca a été pour moi LA ville soviétique.
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Je disais soviétique? Ici on est pas loin de la gare, dans une rue peu fréquentée mais typique de la ville.
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